Cinéma français mercredi 21 novembre 2012
Grand MERCI à Monsieur Frank WILHELM,
qui pour la 20e fois a offert une séance de cinéma gratuite
aux membres des AFE !
« Vous n’avez encore rien vu »
France, Allemagne, 2012
Comédie dramatique d’Alain Resnais
avec e.a. : Sabine Azema, Pierre Arditi, Mathieu Amalric …
Durée : 1h55
Synopis
Treize acteurs décrochent leur téléphone pour s’entendre annoncer la mort du metteur en scène Antoine d’Anthac (Denis Podalydès), qui les convoque pour une version ludique de la veillée funèbre. Dans la maison du défunt, les comédiens se voient projeter la captation d’une représentation d’Eurydice, pièce que d’Anthac est censé avoir écrite. Tous l’ont interprétée dans le passé et sont invités à donner un corrigé du spectacle. Eurydice est en fait une pièce de Jean Anouilh, amalgamée ici avec Cher Antoine ou L’Amour raté. Les interprètes de l’imaginaire compagnie de la Colombe ont l’âge que l’on prête à Orphée et Eurydice, des amants tout neufs frappés par la mort. Ils jouent dans un décor d’usine désaffectée et sont filmés en vidéo. Sur des canapés, leurs aînés les regardent. Pierre Arditi et Sabine Azéma d’une part, Lambert Wilson et Anne Consigny d’autre part, donnent deux autres versions du couple mythologique, qui disent chacun à leur âge de la vie le texte qu’Anouilh a mis dans la bouche de jeunes gens. Le film vit de ses diverses mises en abîme, autant de réflexions sur la transmission et le travail de la mémoire.
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Crtique dans le Nouvel Observateur du 25 septembre 2012
Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais
Par Sophie Grassin
Une oeuvre dense et malicieusement mortifère dans laquelle le maître multiplie les clins d’oeil à Foucault, Murnau et… Resnais.
Le téléphone sonne tour à tour chez Mathieu Amalric, Pierre Arditi, Sabine Azéma, Anne Consigny, Anny Duperey, Michel Piccoli, Lambert Wilson et d’autres… Une voix leur annonce la mort de leur ami dramaturge Antoine d’Anthac, qui a laissé un souhait posthume : tous les comédiens qui ont, un jour, joué sur scène sa pièce « Eurydice », sont convoqués chez lui afin d’en regarder une ultime représentation moderne, captée en vidéo. Dans cette somptueuse demeure où la salle de projection n’est que décor en trompe l’œil, la projection d’« Eurydice » donne lieu à un spectacle en abyme : la confusion entre artifice et réel se fait de plus en plus troublante au fil des actes. Chaque couple de comédiens ayant interprété Orphée et Eurydice se voit replongé dans le souvenir de scènes intenses. Chaque spectateur de « Vous n’avez encore rien vu » revit par identification l’émotion de sa ou de ses propres histoires d’amour. Comme toute œuvre d’un grand créateur, ce film qui mêle deux pièces de Jean Anouilh, « Eurydice » et « Cher Antoine », peut s’apprécier à plusieurs niveaux. Ecouter un texte superbe. Admirer le jeu des acteurs, leur talent et leurs différences. Apprécier la malice avec laquelle Alain Resnais évoque ce thème qui hante son cinéma : la mort.
A n’en rester là, le divertissement serait déjà délicieux et poignant. Mais pour les familiers de l’œuvre de Resnais s’ajoutent les clins d’œil d’un voyage vertigineux : l’écoulement du temps rythmé par le pendule de Foucault, la citation de « Nosferatu », de Murnau, sur l’intrusion des fantômes, l’allusion du titre au « Tu n’as rien vu à Hiroshima » d’ « Hiroshima mon amour », l’utilisation du mythe d’Orphée pour disserter sur l’amour à mort, la reconduction des hasards par lesquels le cinéaste aura toujours donné à ses personnages une double chance d’exister. Rejouée deux fois dans le passé par Sabine Azéma et Pierre Arditi (un couple chez le cinéaste), puis par Anne Consigny et Lambert Wilson, rêvée ou vécue, l’histoire d’Orphée et d’Eurydice rappelle les balbutiements de la rencontre de Marienbad, la seconde chance offerte à Muriel le temps d’un retour, le « je t’aime je t’aime » répété après le drame d’un décès, le jeu du « ou bien ou bien » mis en œuvre dans « Smoking/No Smoking ». L’éternelle reconduction du schéma dont Resnais est friand : celui du corps ressuscité, pour de vrai ou pour de faux, par la grâce de l’imaginaire et de la passion.
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